Information et lois physiques : les ombres chinoises de la réalité

Récemment, une jeune élève à qui je donne des cours avait un devoir à la maison où elle devait construire « le symétrique par rapport à son axe central » d’un immeuble haussmannien dont on lui avait donné deux photos, l’une prise en contre-plongée, l’autre de côté. Elle se précipita sur les photos avec sa règle et son crayon pour y relever diverses dimensions, prête à les reporter inversées sur sa feuille. Je l’ai interrogée sur ce qu’elle faisait. Je lui fis remarquer qu’elle relevait des dimensions déformées par des effets de perspective. Elle devait accéder aux propriétés de l’immeuble (existant a priori quelque part dans Paris) pour dessiner un immeuble symétrique, en exploitant les photos à sa disposition, mais ne pas confondre la photo et l’immeuble lui-même, l’objet réel et l’une de ses représentations possibles ; je lui fis remarquer qu’on aurait pu lui fournir d’autres représentations de cet immeuble – un tableau par Caillebotte, une maquette en carton, une liasse de plans d’architecte, voire une modélisation 3D sur ordinateur.

En gros, je lui demandais de se concentrer sur l’information qui spécifie au mieux l’immeuble, et de manipuler cette information pour « inventer » son nouvel immeuble, symétrique du premier.

Information et lois physiques : les ombres chinoises de la réalitéNous sommes nombreux à confondre les objets du monde avec leurs représentations, qui ne sont que des véhicules pour porter à notre connaissance de l’information à leur sujet. Ces représentations sont par nature imparfaites, car ce sont au sens large des « images », et une image n’est jamais assimilable à l’objet qui la produit. Un tableau hyperréaliste, une photo même détaillée, une splendide maquette, pas plus qu’une modélisation 3D sur ordinateur, n’est assimilable à l’objet qu’ils décrivent. Certains pensent que les mathématiques sont des représentations parfaites. L’histoire des sciences, qui nous montre des modèles mathématiques remplacés par d’autres toujours plus fins, nous prouve que cela est faux. Les modèles mathématiques restent des modèles, non assimilables à la réalité dont, comme les tableaux et les photos, ils nous donnent une « idée ».

Notre condition d’êtres sensibles fait que nous sommes reliés au réel, mais aussi séparés de lui, par nos sens ; c’est à travers leurs filtres que nous tirons notre connaissance du réel, forcément incomplète et déformée. La célèbre parabole de Platon illustre cela : dans la caverne, nous sommes réduits à percevoir la danse de l’ombre des choses, mais cette caverne n’est pas le monde et l’ombre n’est pas l’objet, dont la réalité ultime reste à jamais inaccessible.

D’ailleurs, cette ombre pourrait bien être la projection d’une non-réalité que cela ne changerait rien. L’image d’un objet réel et l’image d’un reflet ne sont pas distinguables. L’immeuble dont nous avions une photo pouvait être pure invention, sa photo un habile trucage. De même, les appareils de mesure scientifiques et les mathématiques peuvent-ils nous abuser ? Avons-nous tort d’identifier ce que la physique nous donne à percevoir avec le réel ? Mise en garde par Platon, la science devrait se garder de conférer trop de réalité à l’ombre. Elle devrait se recentrer sur la seule chose vraiment à notre disposition pour connaître, mais aussi créer : l’information.

Les scientifiques ont longtemps vu l’univers comme une collection d’objets (matériels ou non : il peut s’agir de particules matérielles tout aussi bien que de photons sans masse, de champs, d’ondes de probabilité, de l’espace-temps). Ce sont des « objets » dotés de propriétés et régis par des « lois » universelles gouvernant leurs interactions et leur évolution ; nos mathématiques, miracle ou banalité, offrent à l’Homme une traduction intelligible de ce Code des lois naturelles. Dans cette vision, l’univers est un échiquier, ses pièces se comportent selon les règles. On s’est beaucoup focalisé pendant des siècles sur les pièces du jeu, cherchant à saisir leurs propriétés (à l’instar de cette jeune fille cherchant à connaître les dimensions de l’immeuble dont elle a des photos), leur attribuant l’essentiel de la « réalité » du monde.

Une nouvelle tendance semble émerger, dont des physiciens comme John A. Wheeler1 ont donné l’impulsion, se résumant ainsi : et si la « réalité » se situait au niveau de la notice du jeu et non des pièces de l’échiquier ? Plutôt qu’aux objets qui composent l’univers, ne doit-on pas accorder plus de crédit de réalité aux articles du Code des lois naturelles qui imposent leurs propriétés et leur comportement, et qui– à travers des lois de cosmologie quantique décrivant la genèse de l’univers et de ses constantes fondamentales – dicte peut-être même à l’univers comment naître. Reprenant la métaphore des Echecs : le notice fixe non seulement les règles pour l’utilisation des pièces mais stipule aussi comment on les fabrique ainsi que son damier.
Qu’y a-t-il dans une notice ? Seulement de l’information.

Cette nouvelle physique s’intéresse plus à l’information qui caractérise le monde et ce qu’il contient. Pour un électron, cette information serait la masse, le spin, la charge, la position et la vitesse… Après tout, nous ne connaissons d’un électron que cela. Nul n’a photographié un électron. L’électron se réduit-il à la connaissance de ces éléments ?

Question essentielle. Le sens commun nous faire répondre : bien sûr que non. Une particule ne se réduit pas à notre connaissance de quelques unes de ses propriétés.
La physique classique a répondu de même. Mais la mécanique quantique apporte une réponse très différente : elle parle de particules « indiscernables ». Non pas que nous soyons dans l’incapacité de les reconnaître l’une de l’autre, comme nous confondrions des jumeaux parfaits ; en physique quantique, de vrais jumeaux sont deux avatars d’une même entité !

Dans le monde quantique, l’information serait la réalité. Peu importe qu’elle se concrétise ou pas. Peu importe que l’immeuble existe à Paris ou ailleurs, ou ne reste qu’un plan : son existence dans l’esprit du baron Haussmann et dans le nôtre, manipulée par des représentations, importe plus que les briques qui, le cas échéant, le concrétisent…

1 John Wheeler, est un pionnier de la physique moderne, qui a propulsé les concepts de « trous noirs », de « vide quantique », et s’est intéressé au rôle de la conscience dans la physique quantique. A Princeton, il fut le professeur d’autres géants de la physique comme Richard Feynmann, Kip Thorne…

Crédit Photo : NexusPlexus


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